No dossier | 500-17-116795-215 |
Date de Jugement | 2021-10-13 |
No dossier antérieur | n/a |
Date Jugement dossier antérieur | n/a |
Juridiction | Provincial |
Tribunal | Cour supérieure – Chambre civile |
Plaignant / Demandeur | Centre hospitalier de l’Université de Montréal |
Intimé / Défendeur | M.L. |
Mise en cause | P.L. |
Type de pratique pharmaceutique | Hospitalier |
Chefs d’accusation /nature du recours (articles) [Sanction/ sentence/ condamnation/ ordonnance] | « Le Tribunal est saisi d’une demande en vue d’obtenir une autorisation pour prodiguer des soins requis par l’état de santé d’une personne. La demande est présentée par le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (hôpital) et vise M.L. (Madame) ». [1] « La demande est notamment basée sur une allégation de déficience intellectuelle et cognitive de Madame et son inaptitude à s’organiser quant à l’adhérence au régime prescrit de soins qui lui est requis. L’hôpital allègue que Madame souffre d’une inaptitude intellectuelle l’empêchant de comprendre et de réagir normalement aux enjeux de ne pas suivre le régime médical prévu par l’équipe traitante, y compris la probabilité de décès prématuré pouvant résulter d’une adhérence inadéquate au régime prescrit. L’hôpital allègue que Madame est inapte à consentir au régime de soins requis et qu’elle refuse dans les faits d’y consentir ». [2] |
Résumé | Élément déclencheur : « Le 21 mai 2021, la demande pour soins a été présentée au Tribunal par l’hôpital. L’avocat de Madame demande que la demande soit remise pour permettre à sa cliente de faire des contre-expertises par rapport aux trois (3) expertises produites par l’hôpital ». [3] Faits : « Madame est âgée de vingt et un (21) ans. Elle n’est pas atteinte d’une maladie d’ordre psychiatrique. Les prestations de solidarité sociale constituent sa seule source de revenu. Madame affirme avoir un « chum »; elle s’y réfère parfois comme étant son « conjoint ». La mère est absente depuis que Madame a trois (3) ans. Le père, soit P.L., est présent. P.L. est mis en cause à la procédure. M. L. a témoigné au soutien de sa fille ». [8] « Lorsque Madame a huit (8) mois, elle reçoit une première greffe de foie. Il y a eu des épisodes répétés de rejet de la greffe au motif de la non-adhérence au régime médical prescrit. Le non-respect répété du régime médical endommage le greffon. Pour ce motif, à dix-huit (18) ans, Madame est atteinte de cirrhose du foie. Selon la preuve, la cause déterminante de cette maladie est le non-respect du régime médical indiqué, ce qui a provoqué des infections répétées au cours des années antérieures ». [10] « En mars 2020, en raison d’un questionnement de l’équipe traitante quant au niveau de fonctionnement intellectuel de Madame et à son manque chronique d’adhésion au régime de soins prescrit, l’hôpital fait une demande pour que Madame soit évaluée par un neuropsychologue ». [12] « Le 19 juin 2020, Madame reçoit une deuxième greffe. L’intervention n’est pas un succès. Il y a des complications médicales importantes, une évolution catastrophique et l’admission de Madame à l’unité des soins intensifs ». [13] « Le 28 juin 2020, Madame reçoit une troisième greffe de foie. L’intervention chirurgicale est suivie par une longue période d’hospitalisation de juin à novembre 2020 (5 mois) ». [14] « À la sortie de l’hôpital, l’équipe traitante constate une répétition du non-respect par Madame du régime médical requis quant à la troisième greffe. En particulier, Madame ne se présente pas aux rendez-vous de suivi, ne prend pas les médicaments prescrits, ne procède pas aux prises de sang requises et n’adhère pas aux autres exigences qui lui sont expliquées par l’équipe traitante à plusieurs reprises ». [15] « Dre V.F., neuropsychologue, est reconnue auprès du Tribunal comme experte en neuropsychologie. Dre F. dépose des rapports en date du 18 mai 2020 et du 24 février 2021. Ces rapports sont rédigés à la suite des rencontres avec Madame. Dre F. constate que Madame souffre de déficits significatifs de fonctionnement intellectuel, cognitif et mnémonique (ou de mémoire). Elle note que les arrêts de médication en janvier 2020 découlent des difficultés fonctionnelles d’organisation et de gestion de Madame ». [17] « La Dre F. note que l’équipe traitante a accordé à Madame une nouvelle chance de prouver qu’elle pouvait s’organiser seule. Cette expérience s’est soldée par un échec. Par la suite, Madame a éventuellement accepté l’implication du CLSC. Malheureusement, la collaboration de Madame a été de courte durée ». [21] « Dre F. est d’avis que le père de Madame, soit P.L., sous-estime le déficit intellectuel de sa fille. Cela s’explique par une attitude protectrice de sa part envers elle. Selon Dre F., M. L. a tendance à présenter les difficultés de Madame sous un jour favorable et à les minimiser ». [22] « Dre F. conclut à un diagnostic de déficience intellectuelle et mentionne qu’il est absolument nécessaire pour la survie de Madame qu’elle reçoive des services adaptés à sa condition ». [24] « Madame J.B., travailleuse sociale, est reconnue auprès du Tribunal comme experte en travail social. Mme B. dépose un rapport d’expertise daté du 13 mai 2021. Selon Mme B., malgré les efforts exceptionnels de l’équipe traitante, Madame omet de suivre le régime médical requis. Madame agit de manière erratique et instable, ce qui a pour effet de saboter les efforts entrepris par l’équipe traitante, notamment pour les rendez-vous, les prises de sang et les prises de médicaments, avant comme après l’intervention chirurgicale de la troisième greffe. Mme B. note également l’absence de collaboration du conjoint (ou du « chum ») de Madame qui ne répond pas aux messages téléphoniques laissés par les membres de l’équipe traitante ». [25] « Vu les difficultés chroniques, Mme B. estime qu’il est nécessaire de faire une évaluation psychosociale globale de Madame pour comprendre les causes de la non-adhérence répétée afin d’intervenir pour l’aider à développer, avec le soutien adéquat, une routine qui lui permettrait de respecter de manière fiable le régime médical requis pour protéger le nouveau greffon reçu ». [31] « Selon Mme B., après l’ordonnance de sauvegarde en matière de soins, la situation est encore difficile et imprévisible. Le manque de suivi et de collaboration de Madame a souvent rendu la situation ingérable. Seulement dans les jours précédents l’audience à la Cour du 26 juillet 2021, Mme B. a pu avoir une collaboration minimale. Cependant, Madame vient à nouveau de changer sa résidence à celle de son père à (…) et la situation est redevenue incertaine quant aux déplacements à venir de Madame ». [32] « Dre C.V., hépatologue, est reconnue auprès du Tribunal comme experte en hépatologie. Dre V. a déposé un rapport daté du 14 mai 2021. Selon la Dre V., la cause principale et déterminante de l’échec de la première greffe était le non-respect de Madame du régime médical prévu, y compris les omissions répétées de Madame quant aux prises des médicaments antirejet et des absences aux rendez-vous de prises de sang. Au cours des années avant la deuxième et la troisième greffe, le manque de suivi de Madame a provoqué des rejets répétés et chroniques du greffon de l’époque ». [33] « Dre Vincent explique que si l’expérience passée de non-adhérence se répète, cette troisième greffe va échouer. Si le Tribunal n’intervient pas et ne met pas en place un régime légal contraignant de soins, il est probable que Madame décède de manière prématurée dans les prochaines années ». [36] « En revanche, si Madame suit le régime médical prévu, le greffon sera protégé. Dans ces circonstances, Madame a une espérance de vie d’une durée normale ». [37] « La demande pour ordonnance de soins est déposée à la Cour le 14 mai 2021 et est présentée à la Cour le 21 mai 2021. La demande pour une ordonnance de soins présente le plan de soins suivant : 1) la prise de médication antirejet sur une base quotidienne; 2) l’examen préavis pour suivre l’évolution de l’état clinique; 3) le suivi dans le milieu de vie de Madame; 4) l’accompagnement par personne approuvée pour prise de sang hebdomadaire; 5) l’accompagnement, organisation des suivis et transport par personne approuvée par l’équipe traitante pour rendez-vous médicaux; 6) une évaluation psychosociale; et 7) l’horaire à déterminer dans le but d’assurer le suivi du plan de traitement ». [40] « Le 9 juillet 2021, M.C.-L., pharmacienne à (…), communique avec l’équipe traitante de l’hôpital pour l’informer des difficultés vécues avec Madame pour la fourniture des médicaments prescrits et l’organisation des suivis. Dans sa missive, la pharmacienne écrit ce qui suit : ‘’ Patiente n’étant pas fiable, nous devons souvent détruire les piluliers faits lorsqu’elle ne se présente pas ou est absente.’’ ». [41] « Mme C.-L. a témoigné par téléphone à l’audience. Elle explique qu’elle et son équipe ont énormément de difficultés à interagir et à fournir les médicaments à Madame. Selon Mme C.-L., Madame n’est pas fiable; elle ne se présente pas aux rendez-vous fixés à sa résidence; elle annule tardivement les rendez-vous fixés; elle se présente à la pharmacie sans rendez-vous et demande des médicaments sans préavis et à la dernière minute. La pharmacienne explique qu’il y a une défaillance chronique et répétée de Madame au moins depuis novembre 2020. De plus, elle ne note aucune amélioration, même durant les deux (2) derniers mois, soit au cours de la période après l’émission de l’ordonnance de sauvegarde émise par le Tribunal selon laquelle Madame s’est engagée à adhérer au régime prévu notamment quant à la prise de médicaments ». [42] « Madame reconnaît qu’avant l’émission de l’ordonnance de sauvegarde, elle ne se conformait pas au régime prescrit de prise de médicaments et ne se présentait pas aux rendez-vous fixés. Elle reconnaît qu’il y a eu des périodes de sa vie où elle a simplement cessé, sans aviser personne, de prendre des médicaments antirejet. Elle se sentait alors bien et elle ne voyait pas la nécessité de continuer. Madame reconnaît également qu’elle peut souvent être d’humeur changeante et imprévisible. Elle a même tendance à valoriser cette approche, soit de prendre des décisions de manière soudaine et à modifier ses plans de manière imprévue. Selon Madame, elle préfère attendre les symptômes de rejet qu’elle connaît bien – elle les a nommés au Tribunal – soit d’aller souvent aux toilettes, d’avoir la peau ou les yeux jaunâtres, de manquer d’énergie et d’avoir des sueurs et des frissons. Madame n’est pas d’accord avec l’idée d’avoir des rendez-vous préétablis par l’hôpital. Elle aime décider et changer son horaire, souvent à la dernière minute. Madame affirme qu’elle est capable de se débrouiller et de s’organiser ». [44] « M. L. reconnaît que sa fille a souvent mal choisi ses priorités. Il mentionne que Madame a souvent mal dépensé son argent, notamment sur des jeux vidéo et des teintures pour ses cheveux. Cela fait en sorte que Madame n’a souvent pas l’argent requis pour faire ses déplacements essentiels, notamment entre (…) et sa demeure (ou deuxième demeure) à (…) ». [50] Décision : « Lors de cette présentation initiale de la demande pour soins, après une preuve de l’hôpital, le Tribunal est d’avis qu’il est urgent d’intervenir et que l’hôpital établit une apparence de droit à l’ordonnance de sauvegarde. Le Tribunal demande à Madame de souscrire à un nombre d’engagements, à savoir respecter le régime médical prescrit par l’équipe traitante de l’hôpital, en particulier concernant : • la prise régulière de médication; et • la prise régulière et le respect des rendez-vous ». [5] « Compte tenu des déficits significatifs de Madame au niveau du fonctionnement intellectuel, cognitif et mnémonique, l’hôpital est pessimiste quant à sa capacité à acquérir les habiletés pour assurer le suivi, de manière autonome, du plan de traitement prévu. L’hôpital demande en conséquence une durée de cinq (5) ans pour l’ordonnance. Avec égards, le Tribunal estime que la durée demandée est trop longue dans les circonstances, surtout pour une première demande. Il est vrai que les difficultés de nature cognitive et intellectuelle de Madame sont permanentes. Néanmoins, il est possible que, en raison de l’application rigoureuse du plan de traitement par l’entremise du soutien de l’équipe traitante, Madame s’y habitue éventuellement. Elle pourra, même avec ses déficits cognitif et intellectuel et ses difficultés d’organisation, acquérir progressivement une certaine autonomie par rapport au respect du plan de traitement. Le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une possibilité réelle ». [74] « Si cette possibilité s’avère, avec le temps, non fondée et non réalisable, l’hôpital pourra demander, avant l’expiration de la présente ordonnance, un renouvellement de celle-ci. Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis qu’une durée raisonnable de l’ordonnance est de dix-huit (18) mois ». [75] |
Décision | « L’ordonnance de sauvegarde émise prévoit une exécution provisoire. Selon la preuve, il est essentiel que le régime de médicaments et de soins soit rigoureusement respecté, que les médicaments soient pris tous les jours et que les prises de sang soient effectuées régulièrement pour déceler l’existence et, le cas échéant, réagir à la progression de tout phénomène de rejet. Selon l’avis du Tribunal, devant les signes d’instabilité actuels dans la vie de Madame, y compris les déplacements imprévus et incertains quant à leur fréquence, il est critique pour la vie de Madame que l’ordonnance judiciaire émise ait un effet immédiat. Il est reconnu par tous que n’eût été l’émission de l’ordonnance de sauvegarde, le nouveau greffon de Madame aurait subi des dommages encore plus sérieux et potentiellement irréparables. Les progrès sont trop précaires et récents pour risquer un retour en arrière. La demande d’exécution provisoire est justifiée dans les circonstances. Le Tribunal l’accorde ». [76] |
Éléments d’intérêt pour le pharmacien/la pharmacie | La collaboration de l’équipe traitante à l’hôpital et au communautaire a joué un rôle important dans l’amélioration de l’adhérence au traitement. À plusieurs occasions, l’équipe interdisciplinaire a aidé la patiente dans son organisation et l’a référé vers les ressources nécessaires. La situation actuelle ne permet plus de retarder le plan de traitement et donc, l’équipe interdisciplinaire a envisagé un plan de traitement afin d’assurer la protection de la patiente. |
Mots-clés | Déficience intellectuelle et cognitive, adhérence, antirejet, greffe, CHUM |
Jurisprudence | F.D. c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Royal-Victoria); A.F. c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides; Centre de santé et de services sociaux Richelieu-Yamaska c. F.N.; MB c. Centre hospitalier Pierre-Le Gardeur; Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale Nationale c. C.L.; Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale c. M.S.; Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke c. R.M.; Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale c. D.M.; Québec (Curateur public) c. Centre de santé et de services sociaux de Drummond |
Référence | https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2021/2021qccs4274/2021qccs4274.html?searchUrlHash=AAAAAQAKcGhhcm1hY2llbgAAAAAB&resultIndex=28 |
Auteur | Vicky Vo |
Révision | Jean-François Bussières |
Révision et mise en forme | Jean-François Bussières |
Cour supérieure – Décision 500-17-116795-215 – Autorisation pour prodiguer des soins
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